Interview : François Floret , directeur de la Route Du Rock

C’est a l’occasion d’une soirée de promotion du festival LA ROUTE DU ROCK au Trabendo, que nous avons croisé la route de FRANCOIS FLORET, directeur général du festival depuis ses débuts en 1991. Seul «survivant» de l’équipe de départ, c’est un fan de rock invétéré, calme et jovial qui nous raconte ses points de vue, ses craintes, ses convictions et la vision du métier qu’il défend.

Comment se porte le festival cette année ? On se rappelle qu’il y avait eu des soucis financiers il y a quelques temps.

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C’est assez cyclique, comme partout mais peut-être plus chez nous quand on défend une ligne artistique comme la notre. Tous les festivals ont des hauts et des bas, la météo, les intermittents, les crises internationales, tous peuvent être touché.

Historiquement, la dernière mauvaise année, ça a été 2012, une année catastrophique. On a eu 13000 spectateurs, ce qui est le record dans le mauvais sens. Mais on a au moins une qualité je pense, c’est qu’on sait se remettre en cause. On a su reconnaître qu’on avait sans doute une prog un peu plus terne, qui s’adressait aux fans du festival pur et dur, mais qui manquait d’ouverture ou de rajeunissement.. Donc on a rectifié le tir l’année dernière avec des choix plus costauds, sexy, plus électro. Je pense aux fins de soirées avec DISCLOSURE ou HOT CHIP, des choses nouvelles et très intéressantes, et puis il y avait Nick Cave. On avait peur d’être arrivé au bout d’un cycle, avec un public qui se lasse, mais on a su rectifier le tir et le résultat a été rassurant.

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Certains festivals s’en sortent très bien. Mais beaucoup font dans la surenchère et pour équilibrer, ils sont quasiment obligés de faire complet. ça on en est loin. On se garde justement cette marge de manœuvre, ça n’est pas ce qu’on recherche. Les bonnes années, n’ont jamais compensés les compliquées. Mais on a l’édition d’hiver qui fonctionne plutôt bien, elle est au moins équilibré. Et cet été, les ventes sont très bonnes, voire supérieures à l’année dernière donc c’est une bonne nouvelle. On va dire qu’on se porte bien !

Si on vous dit qu’on trouve la programmation extrêmement pointue, qu’elle à un potentiel supérieur a l’année dernière, que répondez-vous ?

Celle de cette année est aussi forte, voire plus forte que l’année dernière, je trouve. On a PORTISHEAD à la place de NICK CAVE en tête d’affiche. Et je pense qu’on a tapé fort sur la prog électro avec MODERAT, DARKSIDE, CARIBOU ou même LIARS. Je pense que c’est plus homogène que l’année précédente. Même sur les groupes «découverte», on a beaucoup de choses qui ont buzzé un peu, et ça donne une prog costaud.

L’electro justement, est-ce devenu indispensable dans un festival ?

Personnellement je pense que oui. Après il ne faut pas s’obliger à faire n’importe quoi. J’avais découvert Darkside à la Villette au festival Pitchfork par exemple, c’était très étonnant. Je ne savais pas qu’ils pouvaient switcher dancefloor et faire danser autant de monde. Ils jouent de la frustration et quand ils lâchent les beats, c’est génial ! Ce genre de groupe est indispensable à la Route du Rock, on a trop longtemps été catalogués brit-pop, au moins jusqu’en 98. Puis on a réglé des choses en interne car la prog n’était pas totalement intégrée a la structure, c’était externalisé par une autre boite qui gérait les Black Session de Lenoir a l’époque. Donc a décidé de tout gérer dès 99. Et depuis on ne s’interdit rien, ça nous permet de rester très souples. Donc l’electro, il ne faut pas en abuser ou en faire une obsession, mais c’est tellement évident dans la musique actuelle. Il faut laisser les gens se lâcher le soir, c’est ce qui met des petites étoiles dans les yeux.

Comment se passe le processus de programmation ?

On est deux. J’y travaille avec Alban Coutoux qui est arrivé en 96. Il était fan du festival, puis bénévole, puis stagiaire… Alors je l’ai embauché ! Il fait le travail de recherche, il écoute, lit beaucoup, suit son processus. Il est boulimique de report et essaie de beaucoup se déplacer. Aujourd’hui, tant de live sont disponibles sur internet, donc on suit aussi comme ça. On se fait vite des idées, il y a le bouche à oreilles, des confirmations ou pas. Alban amène cette matière et je valide les choses ou pas avec lui.

 Vous visez large, avec un gros panier d’artistes ?

Non, justement, on fonctionne dans l’autre sens. On vise des groupes précis, en réagissant à nos besoins ou nos envies. Parfois ça peux revenir au même parce qu’on vise untel et il n’est pas dispo ou trop cher. Alors on passe au plan B. ça dépend des années. Pour cette édition, on a eu très vite des accords sur ce qu’on voulait vraiment. C’est marrant, parce que les années où le festival marche pas mal, c’est peut-être un peu présomptueux de dire ça, mais ce sont les fois où on a nos premiers choix. Je ne dis pas que les autres éditions sont moins intéressantes, mais c’est juste que le grain de folie qu’on avait voulu mettre n’était peut-être pas là. Il y a des années où on fait jusqu’à 200 offres, avant d’avoir 35 artistes. Ils sont souvent déjà en tournée aux USA ou au Japon puisqu’ils offrent beaucoup d’argent là-bas. Pas mal de festivals sont en train de se créer et occupent la place sur nos dates en Californie, en Angleterre, donc ça ne nous arrange pas. En France, la concurrence est faible a ce moment, Mais il y a quand même beaucoup de festivals l’été, et les gens n’ont pas des portefeuilles extensibles.

L’augmentation des cachets des artistes, ca vous a fait du mal ?

On parle souvent de la fin du disque, que les artistes se raccrochent aux cachets, c’est évident, mais cela ne date pas d’hier, ça fait presque 10 ans. Je ne sais pas si il y a eu une inflation. Certains sont très sollicités par moment, donc ça fait monter les enchères. Des agents négocient plus que d’autres, il y a des minimums. La où d’autres te laissent faire des offres et si tu n’es pas ridicule, ils peuvent accrocher et négocier, certains disent, c’est ça ou rien, ils savent qu’ils auront ce qu’ils veulent. En France, on est considéré comme la 2ème division artistique. Et quelques uns se foutent de jouer ici, cela n’est pas spécialement un marché. Le Benelux et certains pays de l’est sont plus attractifs.

Comme tous les ans, on prend des risques, il n’y a pas de calculs

 Quel est ton regard sur les festivals de plus en plus nombreux en France ?

En Bretagne, je crois que de mai a septembre, il y en a plus de 300, tout confondu. Cela va du petit truc local aux Vieilles Charrues. C’est un phénomène qui existe depuis une quinzaine d’année avec l’essor des Charrues, mais j’ai cru qu’il y aurait eu une régulation naturelle, que certains ne tiendraient pas le coup. On a fini par se demander si a un moment toutes les communes ne voulaient pas leur festival. Une sorte de plan de com’. Les charrues ça a été un évènement majeur, personne ne connaissait Carhaix avant ca. Il y a une partie de développement économique la-dedans, et tant mieux. Mais du coup tout le monde a voulu faire la même chose.

Après je suis partagé parce que je suis quelqu’un qui aime son indépendance. Du coup, libre à tout le monde de faire ce qu’il veut, je ne peux pas être contre leur liberté. La ou j’émets une réserve, c’est que nous on a un festival auquel on tient viscéralement, qu’on a bâti depuis 91 avec nos tripes, qu’on veut faire survivre encore un peu. Comme tous les ans, on prend des risques, il n’y a pas de calculs. Il y a des évènements un peu préfabriqués avec des arrangements, des contributions parce que c’est juteux. Tout dépend de la philosophie. Tout se respecte mais je ne fais pas le même métier que certains.

Comment se passe le montage de la Route du Rock ?

On a quelques aides financières mais pas tant que ca. Environ 20% de subventions. Le reste c’est l’autofinancement avec les billets, les recettes au bar, la restauration. C’est quasiment le nerf de la guerre pour nous. On a le cul entre deux chaises, on est trop gros pour se passer d’une logistique professionnelle, mais on est trop petits pour intéresser les grandes marques de partenaires privés, de sponsoring. On mise tout sur l’image de marque du festival parce qu’on fait moins d’entrée que certains et les marques préfèrent aller o% c’est plus gros. On ne peut pas lutter face à ça, mais on se bat avec nos armes, l’honnêteté intellectuelle, avec un line-up qu’on assume. C’est que qui fait notre plus et certains partenaires aiment cette idée.

 De quoi êtes vous le plus fier cette année au niveau des artistes ?

C’est une réponse compliquée, c’est comme demander lequel de mes enfants je préfère… A titre personnel, Liars est sans doute le groupe qui me ressemble le plus, je ressens cet album très intimement. Portishead est un évènement majeur sur lequel on ne peut pas faire l’impasse. Et puis quelques trucs me titillent un peu plus aussi. Je parle souvent de THE WAR ON DRUGS qui a été un des albums les plus phénoménals de l’année, que je redécouvre à chaque écoute. Un univers incroyable, une plénitude, ce côté Springsteen que j’adore. Et aussi d’HAMILTON LEITHAUSER, le leader de Walkmen qu’on avais fait en 2012, le plus beau concert de cette année la. Il a une voix phénoménale, une classe absolue. En électro, Moderat, c’est juste imparable. J’aime bien aussi le côté punk avec METZ, qu’on avait eu a l’édition d’hiver. Ils arrivent, on les prend pour les 1ers de la classe, ils ont pas le look et puis ils gueulent comme les pires chevelus, ils sont en sueur au bout de 30 secondes, ils jouent 30 mn et se cassent. Une claque ! PERFECT PUSSY aussi, entre punk et expérimental, une belle expérience.

Tu peux nous raconter tes meilleurs et pires souvenirs du festival ?

Le mauvais souvenir, c’est sans conteste en 2002 où le temps a été catastrophique. On s’est pris un ouragan sur la tête pendant 2 jours. DIVINE COMEDY jouait sous 10cm de flotte, ils reculaient jusqu’au fond de la scène, on épongeait le clavier toutes les 2 minutes avec des risques d’électrocution. J’ai cru qu’on ne s’en relèverait pas, on n’avait pas d’assurance annulation à l’époque, pas les moyens. Je ne sais toujours pas comment par miracle la technique a tenu. Les techniciens étaient phénoménaux, ils sont resté très zen. Même si je pense qu’ils bluffaient et flippaient un peu. Mais avec les intermittents, on est une équipe très soudée, une vraie famille. Ces mecs la sont mouillés autant que moi et savent que je ne suis pas un patron débile. Je déteste l’idée de hiérarchie, il faut bien qqn pour diriger mais je ne fais pas le con. Donc il y a un rapport très sain entre les techniciens, les bénévoles et la direction.
La meilleure année, ça reste pour moi 2005 avec THE CURE et SONIC YOUTH. Une année artistiquement phénoménale, le record d’affluence et le direct sur Arte qui nous a forcément aidé.
De manière plus privée, une rencontre avec DJ SHADOW dont j’ai un super souvenir. Il est venu discuter avec l’équipe, il était adorable, super timide, comme un enfant tout gêné et très étonné d’être invité dans un festival de rock. On lui a dit qu’on l’adorait et il a fait des photos avec tout le monde. La seconde fois où il est venu, il a même fait un speech sur nous très émouvant. C’était une très belle rencontre. Je suis moins fan de ce qu’il a fait récemment, mais « Introducing« , ca reste un formidable.

Remerciements à Maxime Lecerf et au Trabendo
Photo © Gaelle Evellin

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