Une agréable nouveauté cette année pour le festival parisien MaMA EVENT : le pass donne un accès illimité à toutes les salles du quartier de Montmartre participant au festival, permettant de découvrir un maximum d’artistes, et il y avait de quoi encore cette année, au gré d’une programmation tant radio FM qu’indé voire confidentielle et pointue. Nous retenons une grande variété de styles représentés, entre pop-rock, metal, rock progressif sud-coréen, world et synthpop acidulée. Même si l’organisation a connu quelques ratés, et si d’une manière générale le public largement composé de professionnels avait tendance à papoter pendant les concerts plutôt que d’apprécier les artistes (on a d’ailleurs entendu cette phrase : « L’année prochaine ils devraient l’appeler le BlaBLA Festival »), nous avons reçu quelques claques monumentales en ce mercredi d’ouverture.
L’accès au balcon de La Cigale est fermé à notre entrée dans la salle vers 19h, et pourtant celle-ci se remplit assez vite au fil du concert d’ouverture de ce MaMA Event 2015. ELVIS PERKINS présente un répertoire d’une finesse exquise, sans débordements. Le Mellotron tout en douceur se marie avec la cymbale crash fêlée, les compositions sont prenantes. Aux trois quarts du concert sur la fin de « My Kind », on perçoit une goutte sur la joue d’Elvis : émotion particulière, ou chaleur torride sous les projecteurs ? Peu importe, un délicat et très joli début de festival qui ne fera que gravir en intensité ce soir.
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Hasard de programmation ou facétie des organisateurs à dessein, les deux Elvis s’enchainent très bien ! Le passage de la Cigale à sa voisine se fait sans encombre au moment où nous arrivons, ce qui ne sera vite plus le cas, la Boule Noire se retrouvant très rapidement en saturation de public. Un beau succès mérité pour RADIO ELVIS ; et si l’audience du festival est par-ci par-là peu attentive (parler business pendant un concert, il faudra nous expliquer un jour), les parisiens révélés par France Inter et Les InRocKs captent notre oreille. Pierre Guénard, Manu Ralambo et Colin Russeil opèrent à merveille, pourtant pas aidés par un ampli que se casse la gueule au début de « Au loin les Pyramides » : pas grave, on recommence le morceau, et c’est reparti pour un enchantement. La scène de la Boule Noire semble faite pour eux, mais à cette heure nous n’avons pas encore idée à quel point elle est surtout taillée pour la prestation suivante…
Avant cela, détour par l’étroite cave du Petit Moulin qui se retrouve elle aussi rapidement pleine à craquer. Rien d’étonnant : c’est EINLEIT, trio dark pop que l’on suit depuis leurs deux précédents EP, qui s’y produit. Alors qu’un album se profile pour l’année prochaine, les parisiens sont toujours aussi brillants pour nous envelopper dans leur sombre univers, perdus parmi des territoires hantés, où le groove minimal contraste avec de superbes envolées atmosphériques. Jun est habité par son chant et Gabriel et Charlie assurent la partie rythmique avec intensité. EINLEIT ne cesse décidément pas de nous surprendre et c’est assez logiquement qu’on attend la suite avec impatience.
Nous repassons par la Cigale, pour BORN RUFFIANS et leur power pop habitée, abreuvant le public d’une grosse dose d’énergie suante en intraveineuse, occasionnellement parsemée de douze-cordes et lignes de basses imparables. Les quatre gars from Ontario délivrent une sacrée montée en puissance, qui n’a pas fini ce soir de nous envahir…
… Puis les lumières s’éteignent de nouveau au 118 boulevard de Rochechouart, un fond de « Grand Duel » de Luis Bacalov (qui a dit Kill Bill ?) retentit sur près de deux minutes. On se demande d’ailleurs ce que signifie ce morceau si impérial pour LAST TRAIN, quatre jeunes loulous de Mulhouse, la petite vingtaine, qui débarquent sur scène la confiance vissée au corps. Blouson de cuir, slim noir, gros amplis Orange, ces mecs ne manquent pas de culot ! Julien Peultier à la guitare à notre droite s’allume une clope, brandit la gratte comme un flingue prêt à dégommer de l’honnête citoyen : mode rien à foutre activé ! Si le son de leur EP 5 titres éponyme est parfaitement produit, sur scène ça envoie à faire tourner la tête, à décrocher la mâchoire. Jean-Noël Scherrer au chant rauque limite agressif et à la gratte maîtrisée sous le bras, se permet une incursion dans la fosse ; tandis que la basse de Timothée Gerard va tâter la cymbale de son pote Antoine Baschung, tous deux le sourire en coin.
LAST TRAIN passe avec un aise déconcertante des postures du post-rock à une tendance garage punk évoquant la pêche scandinave de THE HIVES (« Cold Fever »). L’enchaînement « Fire » (rappelez-vous le meilleur des STROKES époque 2001, rien que ça, ils étaient nés d’ailleurs ces mecs ?!) puis « Leaving You Now » qui suinte le BLACK REBEL MOTORCYCLE CLUB bien digéré, est absolument jouissif : comme sur l’EP mais en mieux ! Une présence scénique très travaillée certes, néanmoins sincère et ahurissante sans que ça ne retombe jamais. Pas d’arrogance au final, car ces p’tits branleurs ont tout compris au rock’n’roll cru et viscéral, s’éclatent franchement, *jouent* sur scène jusqu’à s’embrasser en fin de set. Nous venons d’assister à un monument de l’année, moite, juteux, habile, sournois, avec une méchante envie de se pointer le 11 novembre au Casino de Paris au Festival des InRocKs, ou n’importe où dans le cadre de leur actuelle tournée (une centaine de dates en France et alentours cumulées en 2015 tout de même !).
Que faire ensuite, après une leçon comme celle-ci ? Après un passage peu convaincant à l’extérieur, nous restons au chaud à la Boule Noire, et assistons avec plaisir au set de ROSCOE. Musicalement excellents, les liégeois semblent à juste titre un peu déçus du public parisien devenu bien moins dense à 22h40. Une énergie qui ne décollera pas vraiment dans la fosse malgré la si sympathique et charismatique intervention de Pierre Dumoulin au chant. Témoins d’un vrai talent lyrique servant chaque titre atmosphérique coulant à l’oreille, on aurait préféré un autre horaire de passage afin de profiter pleinement de ROSCOE.
Nos pas nous mènent ensuite vers la Chaufferie de la Machine du Moulin Rouge où se produisent les deux français de THE PIROUETTES. Impeccable transition, tout en humour kitschissime et sans sérieux, où il sera question d’« Amoureux » et de « Robocop » entre autres, avec pour la première fois sur leur scène un rétroprojecteur du plus bel effet. Grands yeux clairs malicieux, bon esprit et synthés à faire sautiller donnent une fraîcheur bienvenue à cette soirée haute tension.
Pour finir magistralement, les plus French-friendly des sud-coréens opposent un subtil maelström entre instruments traditionnels et combo guitare/basse/batterie/ordi au service d’un rock progressif à faire pâlir KING CRIMSON. Sans déconner, une bien belle claque donnée par JAMBINAI, qui présentaient devant un public épars, de minuit à 1h, piochées dans leur LP « Différance » (2012), de monstrueuses pièces instrumentales assis sur la scène du Backstage By The Mill.
Une programmation splendide en ce premier jour de MaMA 2015, on en ferait des hashtags.
Photos et texte © erisxnyx et © Bastien Amelot pour STBC
Remerciements au MaMA