Dimanche 15 février 2015
Grant Nicholas me reçoit dans une petite pièce backstage, tandis que son équipe décharge le tour bus et prépare les balances, quelques heures à peine avant sa première date parisienne sans Feeder. Le frontman gallois, qui a sorti son premier album solo l’été dernier, est très décontracté et me propose de partager le canapé pour un échange tout en sincérité et élégance.
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Tu nous présentes ton projet solo ce soir, souhaites-tu évoquer les circonstances de sa création ? Est-ce que tu te sens libéré de la pression d’un groupe qui marche, ou bien est-ce pour toi un challenge qui génère plus d’attentes de la part du public ?
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(rires) Un peu des deux en fait ! Je n’avais pas vraiment prévu de faire cet album au départ, tout s’est déroulé de manière relativement naturelle. Je voulais faire une pause avec Feeder, et dans cette perspective il n’y avait aucune pression de quiconque. J’espérais simplement susciter des réactions. Je ne dirais pas que je ressens moins de pression, mais plutôt que tout s’est déroulé de manière plus relax.
Il s’agit néanmoins d’un projet qui me tient à cœur, c’est très sérieux pour moi. J’aime l’idée d’être capable de réaliser un album solo en parallèle ; à vrai dire je n’écarte pas du tout l’idée de réenregistrer avec Feeder, puis refaire une incursion solo…
Et puis c’est comme s’il ne me restait plus beaucoup de temps pour faire le tour de ce qui m’inspire, je ne sais pas combien il me reste… Pas que je me sente vieux, mais bon !
Tu me dis que le process était plus relax qu’avec un groupe et un label derrière toi, est-ce que malgré tout tu recherches une approbation dans l’écriture ?
Oui bien sûr, je suis très à l’écoute de mes proches… Évidemment on ne peut pas plaire à tout le monde en toutes circonstances. Même si le morceau est bon, tu te retrouveras toujours face à un avis négatif, même le tien propre ! C’est assez frustrant d’ailleurs. Mais à l’origine je n’ai pas escompté la réception par les fans dans l’écriture de ces morceaux : je l’ai juste fait pour moi, mes amis, ma famille… Je me suis même dit qu’il ne sortirait pas de ce cercle. Il n’était absolument pas question de ventes ou de réception par la presse, tu vois, comme cela peut arriver quand tu composes avec un groupe.
Malgré tout, ça a quand même fini par arriver dans une certaine mesure, parce que ce projet, bien que fun à réaliser, était très sérieux pour moi. Je n’arrive pas à écrire autrement : j’avais besoin d’être content de ce que je faisais sur un plan personnel sans attendre que ce soit apprécié par d’autres, et je crois sincèrement que c’est la clé d’une bonne écriture. On peut toujours espérer que les gens s’y connectent, mais si on se fie trop à autrui c’est un processus qui rend fou ! (rires) Bref !
Feeder est d’un côté de mon cerveau, et là j’en suis à l’autre côté ! J’aime bien l’idée que ça reste séparé et être à 100% sur l’un ou sur l’autre
Il t’arrive de rejouer de vieux morceaux de Feeder en ce moment ?
Non. Feeder est d’un côté de mon cerveau, et là j’en suis à l’autre côté ! J’aime bien l’idée que ça reste séparé et être à 100% sur l’un ou sur l’autre.
En fait je pense que le mélange diluerait l’une et l’autre des saveurs. Et le jour où je rejouerai mes vieux titres de Feeder cela me paraîtra un renouveau, d’ailleurs avec un peu de chance on en écrira même de nouveaux ! J’ai évidemment prévu d’y revenir, en attendant je voudrais apporter à mon travail solo la consistance, le sérieux et les fondations qu’il mérite.
Yorktown Heights comporte quelques morceaux entêtants et pêchus, mais dans l’ensemble c’est un album intime. Si on retrouve un thème commun c’est bien l’espoir et l’envie d’aller de l’avant. Est-ce que tu fuis en avant ? En quoi cela résonne avec ton environnement lors de l’écriture et l’enregistrement ?
Ce n’est pas une fuite, j’ai passé des moments extraordinaires avec Feeder. J’ai ressenti un poids sur mes épaules à un moment, et en tant qu’auteur/compositeur/artiste, je me suis dit que tout ceci était trop bien établi, et qu’il y avait de nombreuses facettes de mon écriture dont personne n’avait vraiment conscience. J’écris presque toujours en acoustique par exemple, et j’ai toujours été inspiré par plein d’artistes folk avec lesquels j’ai grandi ! Tout ça devenait difficile à exposer avec Feeder… Alors bien sûr c’est la même personne qui écrit un album de Feeder et Yorktown Heights ; cela étant dit, tout est beaucoup plus personnel ici. Je mentirais si je disais que les paroles ne reflètent pas mes expériences personnelles, ma famille, ou même un truc que j’ai lu dans le journal, des histoires d’amour, des plantages… Tu sais la presse UK est parfois très glauque, cet album est super positif au final ! Si des titres comme « Isolation » sont noirs et mélancoliques, ils recèlent toujours une pointe d’espoir selon moi… Si on n’entend pas ça, c’est qu’on n’a pas bien écouté ! (sourire)
D’ailleurs ce n’est pas que dans les paroles, mais aussi à travers la mélodie. J’écris vraiment avec mon cœur, et d’autant plus sur cet album-ci. (Il marque une pause) Je ne pense pas aux fans quand j’écris, mais ça me colle à l’esprit d’une certaine manière, tu comprends. Pour Feeder j’imaginais ce que ça donnerait en live, avec les gros riffs dans une grande salle et tout ; là je suis parti d’une toile vierge, je pouvais faire tout ce que je voulais. D’ailleurs je n’avais aucune idée de ce qu’il en sortirait : fabriquer un album solo, donner mes morceaux à un autre artiste, peu importait ! Et d’une certaine manière ça a enrichi l’écriture, ça se ressent. Ça rend assez brut et il y a un certain charme à cela en live, les musiciens qui m’accompagnent sont vraiment excellents avec cet aspect brut, tu vois !
Cette fraîcheur rend vraiment bien dans des petites salles, mais ce serait bien aussi dans une grande. Il ressort de cet album un son bien moins lourd qu’avec Feeder, l’équipe en tournée avec moi est restreinte et tout, c’est complètement différent, mais le son est aussi bon, enfin j’espère ?! (rires)
Je suis un immense fan d’américains comme Tom Petty, Neil Young, ou encore Nick Drake
Tu as enregistré Yorktown Heights entre le Royaume-Uni et l’état de New York ?
Oui, on a commencé à Londres, les percussions surtout, et puis on a fignolé les voix aux États-Unis. Je voulais un environnement différent pour finir la plupart des paroles et en écrire d’autres ; « Tall Trees » est un pur produit américain par exemple. J’ai enregistré « Soul Mates » à la maison au retour, faute de temps là-bas.
Changer de pays a beaucoup apporté aux morceaux. Je n’étais pas dans le rush de Manhattan, mais genre à la campagne, au nord : imagine-toi des pick-ups, de grandes forêts enneigées avec des panneaux limitant la chasse, voilà l’ambiance ! Cet environnement m’a beaucoup apporté personnellement et a donné forme à l’album.
Je suis un immense fan d’américains comme Tom Petty, Neil Young, ou encore Nick Drake, Simon & Garfunkel, Fleetwood Mac… que j’ai écoutés pendant l’écriture de Yorktown Heights. Cela en surprendra plus d’un mais j’écoutais tout ça déjà bien avant Feeder, à l’école, à 10 ou 11 ans ! J’aime le rock, et le punk… enfin tu vois, I’m a song guy !
Pour cet album je voulais un son des années 60/70, sans pour autant être rétro… C’était un beau voyage, pas forcément très long, mais fidèle à mes intentions… (sourire)
Tu as sorti cet album sur PledgeMusic…
Oui, en fait il est produit via mon propre label, mais je l’ai effectivement mis sur cette plateforme pour la vente à sa sortie. Beaucoup d’artistes utilisent des sites comme PledgeMusic ou Kickstarter pour une campagne de financement, mais ce n’était pas mon cas, je ne suis pas très à l’aise avec cette idée. Yorktown Heights est mon petit projet ! J’ai proposé des « packs » avec des feuillets de paroles, des affiches de l’artwork signées… Je trouve que c’est encore cohérent avec l’album, ça attribue à l’achat un petit côté spécial. Les fans sont ravis ! Personnellement, je trouverais des paroles écrites par la main de John Lennon, woaw, j’achèterais ! Tu vois l’esprit ? Mais en aucun cas je ne vendrais, je ne sais pas, une journée avec moi ?!
Ça a au moins aidé à monter les concerts suite à la sortie…
Oui comme je disais c’est un petit projet, auto produit sur un tout petit label… De gros groupes connus réalisent l’argent à générer, utilisent ces plate formes avant même d’enregistrer leur album, et proposent en retour de citer le nom des contributeurs dans les crédits : c’est une approche carrément inconcevable pour moi. J’espère que j’ai utilisé ce système avec goût !
je suis simplement heureux que des gens puissent venir écouter ma musique
Après une première tournée au Royaume-Uni à la fin de l’été, te revoilà à arpenter la Hollande, l’Allemagne, aujourd’hui la France…
Oui et il devrait y avoir encore plus de dates ! Ce n’est pas évident financièrement parlant, mais si je pouvais je tournerais pendant un mois ou deux encore ! J’adore venir ici, Paris est une ville tellement incroyable ! Tu sais, c’est la première presse que je fais depuis un bail, comment les gens sauraient que j’existe si je ne venais pas ?!
D’ailleurs j’imagine que c’était la même chose avec Feeder, on ne tournait pas assez en Europe. On venait, et après c’était 3 ans de silence, toujours un problème avec le label ou n’importe quelle raison, on a toujours un peu manqué de bol en Europe. Alors me voilà, et même si ce n’est pas rentable financièrement, je suis simplement heureux que des gens puissent venir écouter ma musique. Voilà mon programme.
Même si tu ne tournes pas suffisamment, il t’arrive de retrouver des visages connus parmi l’audience ?
Ah ah oui !! Les fans irréductibles de Feeder ! Il y en a toujours ! Mais pas tant que ça, je veux dire, je me rends compte qu’il y a de nouveaux fans, ce qui est génial d’ailleurs. J’élargis le spectre de mon audience ! À vrai dire ce n’est pas évident de toucher un nouveau public. Aux débuts de Feeder par exemple, il fallait un gros tube sur une radio mainstream, un clip télé, le support de la presse papier spécialisée…
Tu sais quoi, j’ai un ami qui est fan : il vient juste de découvrir que j’ai fait l’album, qui est sorti depuis 6 mois quand même ! Aujourd’hui il faut en plus être très présent online : Facebook, la presse web…
C’est toi qui alimentes ton Facebook officiel en direct ?
Bien sûr, je fais tout moi-même sur le net ! OK, je laisse certains aspects opérationnels comme la vente d’albums etc. à mon manager, sinon je gère tout oui ! J’en faisais aussi une bonne partie pour Feeder.
Il est important pour toi d’entretenir le dialogue avec les fans? Également après les concerts ?
Oui j’aime le faire autant que possible. On n’est pas beaucoup mais j’ai la chance d’avoir une équipe en or qui tourne avec moi ; la régie et les musiciens déblaient la scène en mode old-school, et je peux passer quelques minutes avec les fans à signer des disques et taper la discute ! C’était carrément différent avec Feeder, et tant mieux d’ailleurs, je ne serais pas à l’aise si c’était de même ampleur aujourd’hui… Tout un staff était prévu pour la gestion du matériel, mais on avait plus de fans à la sortie aussi ! La capacité des salles joue, mais pas seulement. Je pense à la musique, qui conditionne la cadence générale et l’ambiance post-show.
Ça pouvait être monstrueux, j’adore rencontrer des gens mais parfois on ne s’en sort plus à discuter, la fatigue du concert cumulée à celle la tournée, et en tant que chanteur il faut préserver de l’énergie pour les dates suivantes… Parler quand on doit préserver sa voix ? Hey, autant être bassiste c’est bien plus fun, crois-moi ! Tu peux être beurré tous les soirs ! (rires) Enfin je picole aussi hein, mais un soir sur deux !! À la maison surtout, ah j’adore un bon vin rouge !
Mais oui j’aime vraiment le contact avec le public. D’ailleurs on a fait des petites salles où on doit passer parmi le public pour monter sur scène, niveau contact on fait difficilement mieux !
Tu aimes les concerts à ce que je comprends. Et en tant que spectateur, un coup de cœur récent ?
Ouh là ! J’ai passé les 18 derniers mois à écrire et répéter, je n’ai pas trop eu le temps d’aller en concert… Attends si, mon dernier concert, c’était les Specials au Roundhouse à Londres. Notre clavier, Nik Torp, est également clavier pour les Specials ! C’était chouette parce que ça m’a ramené en enfance, j’achetais leurs singles étant gosse. C’était un gros show, vraiment une ambiance géniale. Le public était plutôt vieux, du coup je me suis senti jeune ! Imagine tous ces chauves et crânes rasés, et moi avec mes longs cheveux de hippie au milieu !
J’ai passé un excellent moment, mais voilà c’est mon dernier concert à date, je suis encore pas mal occupé pour quelques mois avec la sortie de Black Clouds en avril. Il s’agit d’un mini album complémentaire à Yorktown Heights. Je les considère comme intimement connectés : dans les paroles et la mélodie, mais aussi l’artwork. Ça représente du travail, et j’en suis très fier !
Remerciements à HIM MEDIA
Interview réalisée par © erisxnyx pour STBC
Photos © PIP
Retrouvez notre live report du concert au Théâtre des Etoiles ici